Le musicien et le cavalier
Ce matin, à l’Ecole Blondeau, la salle de réunion sent le café et l’envie de se rencontrer.
Nicolas Blondeau et son équipe reçoit un maestro, un musicien de haut vol, ami intime de Michel Legrand : Patrice Peyriéras
Quelques temps avant, j’avais rencontré ce grand musicien à Paris. Lorsque j’ai parlé avec lui des chevaux, à chaque phrase prononcée, des liens apparaissaient entre ce que j’observais en tant que scientifique de la relation homme cheval à l’Ecole Blondeau et ce que lui vivait dans son activité de compositeur et de chef d’orchestre.
Il eut alors envie de rencontrer Nicolas Blondeau et ce matin, la rencontre avait enfin lieu.
Il y a parfois dans la vie des moments de grâce où toute la beauté de la valeur humaine s’exprime. Des larmes d’émotion ont envie de couler le long des joues et malgré toutes les critiques que l’on peut faire de l’humanité, on se trouve fier d’être homo sapiens. En présence de ces deux hommes de bonne volonté. Ce fut mon sentiment à ce moment-là.
Le musicien raconte tout d’abord sa première expérience avec les chevaux. Il composa une musique originale pour une cavalière de dressage. En regardant le cheval se mouvoir avec élégance sur sa musique, il fut surpris de la précision du cheval, en parfait accord avec le tempo. Il fut ébloui par l’harmonie de l’ensemble.
Nicolas Blondeau rapporte alors ses expériences démontrant toute la finesse des chevaux au travail avec les humains. Il exprime l’importance du face à face et de la qualité de la relation que l’on souhaite construire avec le partenaire. Lorsque Nicolas Blondeau parle de la manière de s’approcher d’un cheval agressif, il ouvre ses bras, il bombe le torse et sourit comme pour embrasser une personne qu’on aime très fort et que l’on n’a pas vu depuis longtemps.
« Il faut donner au cheval envie d’être avec vous ! » dit-il « il faut le diriger, lui donner la ligne à suivre puis le laisser faire, car c’est dans les cessions que nous avons les réponses, ce qui veut bien dire que pour recevoir, il faut tout d’abord donner. »
Le musicien, chef d’orchestre rebondit sur ces paroles du cavalier : « Les musiciens des grandes formations sont tous de très bons techniciens, mais pour que tous ces virtuoses travaillent ensemble et donnent l’âme à la musique, il faut aussi que j’ouvre mes bras et que je donne tout de moi-même. »
A l’écoute de ces deux grands artistes l’un en face de l’autre, je comprends la force de l’affectivité, Allez ! j’ose le dire la force de l’amour !
Tous deux travaillent leur technique, leur savoir-faire. Ils vont chercher au plus profond de leur force la vitalité qui leur permet de donner le maximum d’eux même pour les autres, pour celui qui est en face, engagé dans la relation que ce soit le cheval ou que ce soit l’orchestre. Ils le font aussi pour celui qui est spectateur de la construction du lien. Ils le font pour que chacun d’entre nous se souvienne que pour recevoir, il faut donner .
« Le cheval donne lorsque le cavalier cesse d’agir » dit le cavalier ; le musicien lui répond « la musique n’existe que pour ses silences, car la musique continue après la musique. »
Si l’on veut se poser la question : A quel moment l’Equitation devient un art ? La réponse est là. Si l’on veut se poser la question quel est le point commun entre une séance d’éducation avec Nicolas Blondeau et une direction d’orchestre la réponse est là ; la force de l’engagement, la volonté de donner tout pour recevoir un peu.
Daniel Stern pédopsychiatre américain appelle ce phénomène « les formes de la vitalité » qu’il définit comme une manifestation de la vie. Nous la ressentons fortement en nous-même et percevons son expression chez les autres.
Alors messieurs les metteurs en scène, vous qui remplacez les chevaux réels par des hologrammes dans vos spectacles dit vivants ; n’y a-t-il pas quelque chose de la définition de l’œuvre d’art qui vous a échappez ? Car ce qui est beau dans le face à face entre l’humain et le cheval ce ne sont pas les prouesses exécutées ni même l’élégance naturelle du cheval ; c’est la force de l’affectivité qui s’exprime dans ce face à face. Peut-être, au fond derrière une soi-disant volonté de protéger les animaux, vous cachez un profond mépris pour eux et cela vous empêche d’imaginer à quel point ils savent être de véritables artistes aimant la scène autant que vous.
Sophie Barreau - 13.05.2019
Ethologue - Enseignante